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Martin E., Renard F., Levie K., Steyaert M., Deccache A., Unité d’éducation pour la santé, RESO, Université catholique de Louvain.
Les recherches sur la résilience mettent l’accent sur les potentialités et les ressources qui existent en tout être humain et qu’il est capable de mobiliser pour faire face à un traumatisme.
Des rencontres avec les familles ont été étalées sur le temps de la recherche-action afin d’investiguer les facteurs de risque et de protection.
Des contacts ont été pris avec des associations de Schaerbeek que les parents fréquentaient mais aussi avec des associations des communes proches ayant des structures d’accueil spécifiques pour les primo-arrivants.
Un guide d’entretien a été élaboré spécifiquement pour chacun des acteurs scolaires : les directeurs d’école, éducateurs, médiateurs et enseignants afin de voir comment l’école met en place les éléments d’accueil des primo arrivants. Les représentations qu’ont les professionnels scolaires des parents primo-arrivants ont été recueillies.
La résilience de l’enfant dépend de la résilience de sa famille. Favoriser la résilience familiale sera donc aussi favoriser la résilience de l’enfant.
Quelles sont les différences entre réfugiés de guerre et migrants économiques au niveau des traumatismes vécus ?
- Contrairement aux migrants économiques, la migration n'est en général pas une promotion pour les réfugiés. Ils ont dû abandonner leurs biens, ont perdu des membres de leur famille, connaissent bien souvent une perte de statut économique et social.
- Pour les réfugiés, le traumatisme a débuté dans le pays d’origine et provoque une situation où chaque membre de la famille et l’ensemble du système sociétal vit un état de déséquilibre et de confusion. Les relations d’attachement sont atteintes de diverses manières.
- Le réfugié ne maîtrise pas les évènements et n’a pas eu de projet migratoire. Il fait donc plus difficilement le deuil du retour au pays et met du temps à s’adapter parce qu’il n’a pas choisi d’être là.
La plupart des personnes primo-arrivantes qui s’intègrent à une nouvelle culture éprouvent un choc culturel. L'enfant vit ce changement dans la confusion, il a du mal à s'habituer, d’autant plus que très souvent les parents ne lui expliquent pas pourquoi il a dû quitter son environnement d’origine. Les tensions et frustrations ressenties s’expriment par des symptômes psychosomatiques.
Lors de leur adaptation à la culture du pays d’accueil, certaines familles et groupes de primo-migrants ou réfugiés activent surtout leurs tendances à renforcer les fonctionnements préexistants dans le pays d'origine. Ce fonctionnement est nécessaire et salutaire dans un premier temps, car il permet un renforcement de l'identité socioculturelle de la famille et une possibilité de défense face à la menace de désintégration que le nouveau milieu ambiant implique. Mais si cela se maintient, une réaction défensive par rapport à la société d’accueil peut s’installer, bloquant les possibilités d'échange avec le nouvel entourage.
D’autres familles activent totalement leur tendance au changement, s'ouvrant exagérément à la société d'accueil. Dans ce cas, un fonctionnement chaotique peut s'instaurer, laissant chez les membres de la famille, spécialement chez les enfants et les adolescents, un sentiment de non-appartenance qui pourra aboutir à des troubles graves de l'identité.
Une adaptation adéquate et qui permettrait de mettre en place toutes les caractéristiques et aptitudes résilientes (estime de soi, humour, capacités à se projeter dans l’avenir, ...) serait de trouver un équilibre entre ces deux tendances culturelles.
(1) Les ressources culturelles, religieuses et les revendications politiques : Le vécu culturel et religieux de la famille et la représentativité ethnique dans le pays d’accueil favorisent un microcosme semblable à ce qu’elle connaissait auparavant et permet de rompre l’isolement dans un premier temps. Les attitudes culturelles envers la violence pourraient également jouer un rôle potentiel dans la réaction de l’enfant face à l’adversité extrême, tels que les traumatismes de guerre ou la maltraitance.
Nous remarquons que la religion des familles primo-arrivantes peut jouer ici un rôle fondamental. Pour beaucoup de parents primo-arrivants interviewés, le recours à leur foi est primordial pour surmonter les épreuves.
Les associations ethniques, en aidant les personnes originaires d’une même région à trouver un sens à leur migration et à préserver un sentiment identitaire et leur culture, favorisent grandement la résilience des familles primo-arrivantes.
(2) Le rôle du pays d’accueil : Le monde intime des familles qui ont vécu des traumatismes dépend aussi du monde intime des personnes à qui elles se confieront et de la charge affective que le discours social attribue à ce qu’elles ont vécu. La façon dont on a écouté leur histoire à l’office des étrangers ou dont on les regarde en tant que professionnels a une influence sur leur résilience.
(3) Conflits de valeurs à l’école et résilience : Les parents doivent évaluer leurs propres croyances et valeurs, ainsi que celles de leur société d’adoption, pour tenter de déterminer ce qui sera « le mieux » pour leurs enfants.
Parce qu’elles ne connaissent pas bien le « système » belge ou parce qu’elles ressentent un rejet de leur propre culture, les familles primo-arrivantes éprouvent des difficultés à composer avec les conflits de croyances, valeurs et pratiques.
L'école tient une place très importante dans l'environnement de l'enfant primo-arrivant. A travers son discours, il se «découvre étranger», appartenant à un groupe «chargé» de stéréotypes défavorables. Il peut alors connaître des troubles de l'identité liés aux ruptures et aux changements, et aux difficultés d'identification à des modèles occidentaux.
Enfin, le choc culturel peut aussi exister chez les enseignants face à la diversité des cultures et des religions en présence dans leur école.
Pour garder la population d’enfants primo-arrivants plus stable et par là faciliter leur adaptation, il serait bon que les directions favorisent un climat de relation positive avec les parents afin de les convaincre à garder quelques années l’enfant dans un même milieu avec les mêmes références d’attachement.
La difficulté est de prendre en compte les parents primo-arrivants analphabètes ou ne comprenant pas le français dans les relations scolaires.
Un autre problème mentionné par les directions est le coût des frais scolaires, trop élevé pour certains parents primo-arrivants en situation économique plus que précaire.
Les parents comme les enfants ont besoin de se sentir reconnus et acceptés. Mais souvent le quartier qu’ils habitent leur est hostile. C’est seulement en favorisant le respect mutuel qu’on favorisera le développement de quartiers et de communautés résilientes capables de donner une place à chacun.
Les enseignants rapportent que les enfants primo-arrivants ont la caractéristique de vouloir apprendre, qu’ils ont une grande motivation et une grande capacité de mémorisation. Cependant, des difficultés existent.
Notamment, les élèves primo-arrivants à Bruxelles doivent apprendre non une mais deux nouvelles langues (français et néerlandais)... Certains enfants sont changés sans arrêt d’école, et parfois passent et repassent du système francophone au système néerlandophone.
La situation est plus difficile encore pour les enfants traumatisés par la guerre : ils doivent migrer dans la culture de l'autre en niant ou oblitérant leur passé. Un mélange de peur, d'angoisse, de culpabilité par rapport à une assimilation non souhaitée par les parents peut aussi entraver le processus d'acquisition de la langue étrangère de l’enfant.
Pour d’autres, la résistance à l’apprentissage du français est liée à la présence nombreuse dans le quartier de personnes parlant leur langue maternelle.
A cause d’une structure d’accueil insuffisante, nombre d’élèves ayant des capacités d’entreprendre plus tard des études supérieures, risquent d’être relégués dans des classes « professionnelles ».
Le choc culturel est encore plus difficile à vivre pour les adolescents parce que c’est la période de recherche de sens et de construction de la maturité. Le contraste entre ce qu’ils vivent dans la société d’accueil et ce qu’ils ont vécu dans le pays d’origine est immense.
Les adolescents primo-migrants perçoivent la dévalorisation de leurs parents, qui signifie pour eux la dévalorisation de la culture d’origine. La marginalisation dont ils sont l’objet réveille chez eux des sentiments d’insécurité, d’infériorité, de dévalorisation.
En outre, l’adolescent risque de briser l'espoir des parents en se frottant d'un peu trop près à la société d'accueil qui peut leur kidnapper littéralement leur progéniture. La panique conduit à un plus grand resserrement de l'autorité et l'inévitable choc se produit.
Dans le système scolaire, une fois sortis du cocon protecteur de la classe passerelle, ils font face à un paradoxe : un décalage important entre leur progression en français et les notes faibles obtenues, car ils sont davantage évalués en fonction de leur écart à une norme préétablie. Cela peut provoquer chez eux un profond sentiment de découragement, voire d’injustice.
Des troubles du comportement relationnel chez l’enfant réfugié de guerre sont souvent signalés par les enseignants.
Comme nous l’avons dit auparavant, le rôle de la famille est reconnu depuis longtemps comme un facteur important dans l'adaptation des enfants lors des événements catastrophiques.
Des facteurs environnementaux entrent aussi en compte, tels que la détresse parentale, l'histoire psychologique des parents et le climat émotionnel de la maison. Ces parents réfugiés, pris par leurs propres souffrances, ont moins de possibilités de procurer à l’enfant l’attachement et le sens nécessaire à sa résilience.
Pour l’enfant réfugié ou primo-arrivant, l’école est le point de départ de la résilience et la construction de son avenir. Le milieu scolaire constitue une source de sécurité en dehors du foyer, et parfois même la seule. Les membres du personnel représentent des modèles adultes avec des qualités positives.
Souvent les professeurs ne savent pas s’ils doivent demander à l’enfant ce qu’il a vécu, de peur d’aller trop loin et de ne savoir gérer leurs propres émotions et celles de l’enfant. On peut susciter la parole de l’enfant sans l’imposer. Souvent c’est dans des situations où l’enfant ne ressent aucune obligation de parler qu’il livre des confidences. On peut utiliser des stratégies de contournement pour faciliter l’expression de la parole de l’enfant blessé. Le principe est d’inviter l’enfant à s’exprimer sur des situations difficiles qui surviennent à d’autres êtres auxquels il peut s’identifier, pour l’amener progressivement à parler de lui-même.
Il est utile d’élargir l’action afin de renforcer la résilience familiale en renforçant la résilience communautaire.
Encourager les ressources communautaires, cela signifie les mettre en lien avec les associations adéquates d’aide pour l’enfant. C’est une demande constante des professionnels : savoir envoyer les familles là où il faut suivant leurs demandes et leurs besoins.
Ce n’est qu’en augmentant la résilience communautaire d’un quartier qu’on augmente la résilience des familles qui y vivent.
Pour terminer ce long parcours sur la résilience de l’enfant et l’adolescent primo-arrivants, et celle de leurs familles, nous voulons insister sur le fait qu’une des caractéristiques d’une démarche résiliente arrivée à sa maturité est d’être capable de donner à son tour. Le recours aux compétences et aux savoirs de familles migrantes arrivées plus anciennement et ayant pu surpasser leurs problèmes s’est révélé des plus bénéfiques. Pour cela, elles doivent ressentir chez nous la considération, le respect et l’attachement qui augmentera leur estime de soi et leurs propres ressources.
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